Les relations entre l'art et la justice

Lundi 9 novembre 2015
Salle de l'Ecuelle Rue des 4 fils Aymon, 21 à Lessines
Conférencier : Joachim Bourry


Description

Dès l'âge de sept ans Joachim BOURRY était petit chanteur et a plus tard fondé l'ensemble vocal a capella « VOIX des collines ».

Il est aujourd'hui avocat. Il a son propre cabinet à Bruxelles et il plaide dans les deux langues.

 
Compte rendu


L'art et la justice ont une ou des histoires liées qui, pour paraphraser Gainsbourg, peuvent être résumées par Je t'aime moi non plus .
 

La justice se définit comme la vertu morale qui fait rendre à chacun ce qui lui est dû.

L'art est par ailleurs l'expression d'un idéal de beauté dans les œuvres humaines.

 
Si ces notions sont contraires, elles se caractérisent par des similitudes sur bien des points, en raison de leur multiplicité et de leur interdépendance . L'une et l'autre sont des résultats créatifs, représentatifs et sociaux, qui ne peuvent dès lors être dissociés.

 
La justice désigne avant tout une valeur , un idéal moral, un concept philosophique dont la caractérisation paraît à la fois instinctive (le sentiment d'injustice ou de justice s'impose à nous) et complexe (il est impossible de définir abstraitement les critères du juste). Une formule médiévale la définit ainsi comme « l'art du bon et de l'égal ». Les Grecs anciens, dont témoignent les écrits de Platon et Aristote, qualifiaient ce qui est juste de dikaion , terme dérivé de « Diké » la justice. La justice doit dès lors être appréhendée telle une vertu et non une règle. La justice est donc une vertu Art-ificielle, inventée par l'homme.

Le concept de justice est en partie culturel et ses applications varient selon les coutumes, les traditions, les structures sociales et les représentations collectives. L'histoire de la notion de justice est dès lors liée à l'histoire des peuples et des civilisations. On parle de culture judiciaire .

Le culte impérial romain a fait apparaître une importante scénographie, ainsi que le droit romain.

Avec l'avènement des religions monothéistes, la notion de justice va devenir étroitement liée au champ religieux et théologique. Apparaît dès lors le Droit canonique et son iconographie, dont celle reprise sur la plupart des tympans des portails des églises, à savoir le jugement dernier. La justice se voulant distributive et exemplative, doit alors obligatoirement être accompagnée de son bestiaire.

La justice comme idéal individuel ou collectif fut le sujet de nombreuses théories philosophiques et métaphysiques, souvent associées aux notions de Liberté, d'Égalité ou de Société. Selon Nietzsche il n'existe aucune justice éternelle. Dans son Léviathan, Thomas Hobbes considère la justice comme un commandement divin, avec la différence que l'État (ou une autre autorité d'origine humaine) y remplace Dieu. L'idéalisme et le scepticisme font de la justice une idée subjective, fondée sur l'intériorité et l'imaginaire.

 
De tous temps l'art a été au service de la Justice . Platon faisait déjà remarquer l'étonnant pouvoir des œuvres d'art sur notre perception. Car les rapports harmonieux qui ordonnent leurs compositions pénètrent dans l'âme humaine et lui apprennent à percevoir ce qui est bel et bon, juste et vrai. L' engagement esthétique est un élément important du processus par lequel le public se trouve touché : les arts visuels engagent l'individu dans ses différentes capacités perceptives et cognitives, permettant de toucher toute la gamme des sensations et émotions humaines, au-delà du verbal ou du rationnel.

Un développement sur la justice en ses temples montre le passage, au cours du XVIIIè siècle de palais ouverts sur leur environnement social – concrétisation architecturale de la culture du compromis – à une architecture plaçant la justice en majesté, l'isolant de la cité.

Le palais de justice de Bruxelles , construit de 1866 à 1883, est ainsi un monument sur une superficie au sol de plus de 26.000 m². En vue de promouvoir la séparation de l'église et de l'État et les différents pouvoirs au sein de l'État, il paraissait essentiel d'assoir l'autorité en faisant un monument gigantesque, plus vaste que la Basilique Saint Pierre à Rome. Il a fallu pour se faire exproprier bon nombre d'habitants émigrés au quartier des marolles, de manière à ce que l'édifice puisse se trouver en hauteur et dans la parfaite lignée du Palais Royal. Cet ouvrage est tout entier bâti sur des symboles, tant au niveau des plans que de la décoration. Ainsi, la salle des pas perdus est basée sur le plan d'une pyramide, élément sur lequel est basé l'ordre judiciaire et normatif. Les chiffres, chers à la Fran maçonnerie sont également omniprésents, une fois pour accentuer la grandeur vis-à-vis du justiciable à l'entrée du Palais – où les 10 marches, ce nombre étant à considérer comme parfait, se voient multipliées par 3, le nombre complet qui symbolise les différents pouvoirs, la trinité, etc. - , d'autres fois pour redonner la dimension d'humanité aux juges avant d'entrer dans la salle d'audience - en empruntant des escaliers qui font à chaque fois 5 marches, à savoir la dimension humaine par excellence -. Ainsi, la Cour de cassation dispose également de 10 fenêtres, dont la 10 ème est occultée, tout le principe de cette Cour étant justement de faire le pas vers cet idéal. Dans la même idée des églises dont le chœur est orienté à l'est. La salle d'audiences solennelles de la Cour de Cassation fait entrer la lumière et est dotée de grandes fenêtres alors que la Cour d'assises où se présentent les criminels, qui sont déjà passés les cellules et la Chambre du conseil au sous-sol, reste dans la pénombre.

A la fin du XXè siècle on revient à plus de transparence et d'ouverture . On voit ainsi apparaître des Palais de verre, comme à Charleroi où le Palais de justice est d'ailleurs ainsi nommé.

La justice est la vertu la plus représentée au niveau pictural , surtout sur les édifices publics (avec Marianne en France, ou avec l'aigle américain aux États-Unis) ; on peut citer par exemple La justice remettant au doge l'épée et la ballance au Palazzo Vecchio de Florence (fresque et sculptures), à la Chambre des Députés de Paris (œuvre d'Eugène Delacroix), au Palais de la Nation de Bruxelles enfin. Elle peut aussi décorer des monuments funéraires de grands hommes connus pour les actions justes (Urbain VIII, François II entre autres).

Dans la mythologie égyptienne , la déesse Maât, représentant la justice et l'ordre dans l'Égypte pharaonique, est symbolisée par une « plume », qui est aussi l'âme du défunt qui a vécu de manière droite et juste durant sa vie et qui est jugé lors de la « pesée de l'âme » ou psychostasie . Le jugement d'Osiris de déroule ainsi : le cœur du défunt est posé sur un plateau de la « balance ». Dans l'autre plateau se trouve une plume. Si le cœur est plus lourd que la plume, c'est que le défunt est encore attaché au monde matériel et à la matière de son corps physique. Il est alors dévoré par le monstre Ammit. C'est seulement si le cœur est plus léger que la plume que le défunt est libéré du cycle des réincarnations et qu'Anubis l'emmène au royaume d'Osiris. C'est pourquoi la plume et la balance - illustrant également le principe de contradiction juridique - sont, depuis ce temps, les symboles de la justice. On retrouvera d'ailleurs le motif de la plume dans les fers forgés des luminaires du Palais de Justice, où la lampe est en forme de gland de chêne suspendu à une plume. Le chêne est quant à lui symbole de force et robustesse, ainsi qu'une allusion aux premiers juges qui faisaient justice à l'ombre d'un chêne. Cet élément est également repris par l'écriteau SPQR en bois de chêne à l'entrée du Palais ou encore par le bout de bois sur lequel le juge frappe pour la prise en délibéré d'une affaire.

L'Antiquité gréco-romaine représente la justice sous les traits de Thémis ou Diké selon les cas, figuration ayant inspiré les représentations modernes utilisées pour personnifier les institutions comme Lady justice . Au Moyen Âge, elle est incarnée par une femme tenant une épée, comme dans les tapisseries de l' Histoire de David et Bethsabé , ou sur la Justice de Trajan , fresque créée par Andrea Da Firenze. Pour les besoins esthétiques la Renaissance la figure souvent nue tenant la balance ou le glaive (par exemple la toile de Spranger au Louvre), parfois les yeux bandés. De manière générale, le glaive symbolise le pouvoir de la justice qui tranche les problèmes et litiges. Le glaive est ainsi décliné de différentes manières au niveau de la Cour de Cassation. Ainsi, la statue dans le couloir de la Cour présente dame justice qui a rangé le glaive dans son fourreau, cette Cour ne doit en effet plus trancher sur le fond d'une affaire mais uniquement sur la légalité d'un arrêt déjà prononcé. On retrouvera un bas-relief à l'entrée de la Cour de Cassation, où le glaive est fissuré, et ce n'est que sur les tapisseries à l'intérieur de la salle que le glaive est cassé. Le bandeau lui couvrant les yeux est quant à lui symbole d'impartialité. Ses couleurs vestimentaires sont dominées par le blanc, symbole de pureté et de candeur (« candide » en latin signifie « blanc »), le noir et le pourpre. Outre les aspects d'impartialité, la toge des juges était d'abord pourpre en référence à la justice. Par l'évolution des mœurs, le rouge est devenu synonyme de sang et de prostitution, de sorte que la majorité des toges sont actuellement noires avec une bavette blanche. Une chambre de la Cour d'Appel de Bruxelles est ornée de plusieurs portraits de magistrats, démontrant l'évolution vestimentaire de ceux-ci. La justice peut être assise sur un lion, allusion à la vierge Astrée qui d'après la mythologie avait fui dans le zodiaque pour éviter l'injustice des hommes. Son signe est ainsi entre la constellation de la Balance et du Lion.

L'éloquence , l'art de bien parler, de persuader par la parole, et la rhétorique, l'art de dire quelque chose à quelqu'un, d'agir par la parole sur les opinions, ont de tout temps été mêlés aux procès, déjà par Aristote ou Cicéron.

Le théâtre offre quant à lui certains codes pour l'ouverture d'espaces pour un dialogue, une interaction entre les parties, et un questionnement citoyen, un processus thérapeutique et cathartique, un processus de re-symbolisation. Le procès est un spectacle qui évoque ouvertement ce qui a été tu jusqu'alors et pousse à la discussion. Le théâtre est, par excellence, l'art de « dire » les choses. Ainsi un procès peut, comme un spectacle, déranger et interpeller. Le procès - par essence public - se joue sur la place publique et s'inscrit fondamentalement dans une expérience collective, il permet de connecter ce travail intime à un processus social. Les parties se voient personnifiées par l'acteur qu'est leur avocat qui s'adonne à un jeu de rôles. Les dispositifs de mise en scène sont extrêmement travaillés et permettent d'introduire le public à un espace en partie métaphorique et fictif, de le faire pénétrer dans un lieu où il se trouve mis à distance du réel. C'est là un point central et qui peut paraître contradictoire avec un procès ancré dans une réalité socio-politique bien tangible et qui se joue sur les lieux du quotidien. Le procès en adéquation avec cette réalité ne doit pas faire oublier la nécessité de distinguer la représentation des événements des événements eux-mêmes. La notion de « personne » au sens de sujet de droit, provient du terme antique « persona » qui signifie masque de théâtre. Ce masque avait comme première fonction de cacher le visage, de protéger l'identité contre le public, et comme deuxième fonction de servir de microphone, qui amplifie la voix pour se faire entendre dans le public. Le masque permet donc de faire une dissociation entre le rôle et l'identité qui se cache derrière, mais renforce également l'accès au forum public.

Comme le souligne Bruno Bettelheim, les contes inculquent également les règles essentielles aux enfants.

Enfin, le chant d'Orphée, l'inventeur de la cithare, était si suave que les bêtes fauves le suivaient, qu'il inclinait vers lui les arbres et les plantes et adoucissait les hommes les plus farouches. Ceci démontre dès lors la contribution de la musique au pouvoir. Celle-ci pouvant solenniser l'instant ; pensons aux olifants du jugement dernier où à la cloche annonçant les magistrats.

 
Pareillement, la Justice a rendu service à l'art . Le thème juridique est un topos de la littérature mondiale. Le genre dramatique a, dès l'Antiquité, représenté la justice des hommes et des dieux : Aristophane dans Les Guêpes , Beaumarchais, Le Mariage de Figaro ou encore Jean Racine dans Les Plaideurs . Dans Le Dernier Jour d'un condamné , de 1829, Victor Hugo présente la justice comme un idéal. Les intrigues judiciaires et les « affaires » ont souvent alimenté nombre d'histoires narratives comme celle à la source du polar . Dans Le droit dans la littérature française , Jean-Pol Masson, magistrat belge à la Cour des comptes, explore l'histoire d'une métaphore classique qui est faite entre le Droit d'un côté et le théâtre de l'autre. Il présente ainsi les principaux auteurs usant de cette image, liste qui va de Balzac à Camus, Flaubert à la Bruyère, La Fontaine à Molière, sans oublier Rabelais, Racine et Georges Simenon. D'autres auteurs recueillent les parallèles constants que la littérature entretient avec la thématique judiciaire : Philippe Malaurie dans Droit et littérature. Une anthologie , ainsi qu'Antoine Garapon et Denis Salas dans Le droit dans la littérature .

De nombreux films exploitent des scènes judiciaires, certaines fois il s'agit d'œuvres originales mais il y a aussi un nombre important de reprises.

La justice est un thème pictural travaillé par des artistes célèbres : Giotto en fit une fresque à l'Arena de Padoue, Dürer la représente en gravure sous les traits d'un homme, chose rare, Raphaël au Vatican (fresque de la Chambre de la Signature), souvent accompagnée d'autres Vertus, comme la Paix ( La Justice et la Paix , Hans Rottenhammer, Besançon) ou en situation ( La Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime , 1808, de Prod'hon, musée du Louvre, Paris). En France, les plafonds de la Grand'chambre du Parlement de Bretagne et celui de la deuxième chambre des enquêtes du Parlement de Normandie, tous deux peints par Jean Jouvenet, représentent le Triomphe de la Justice . En 1765, le peintre Louis-Jacques Durameau file le thème en le représentant pour la chambre criminelle du Parlement de Rouen.

Il y a par ailleurs un lien très étroit entre les droits culturels et les droits de la personne . Dans le cas des groupes autrefois exclus, la question des droits culturels est un domaine dans lequel l'accès aux institutions, le droit d'avoir sa culture (une expression culturelle, des opinions culturelles et un point de vue culturel) dans le cadre de la conversation humaine, et une source qui est prise en compte dans l'organisation de notre société, sont des éléments à la fois nécessaires et importants pour pouvoir progresser. Les droits culturels sont des droits liés à l'art et à la culture, tous deux compris dans un sens large. L'objectif de ces droits est de garantir que les peuples et les communautés aient accès à la culture et puissent participer à la culture de leur choix.

Il s'agit de droits liés à des thèmes tels que le langage ; la production artistique et culturelle ; la participation à la vie culturelle ; le patrimoine culturel ; les droits de propriété intellectuelle  ; les droits d'auteur ou l'accès des minorités à la culture (et aux institutions culturelles).

 
Au contraire des bons et loyaux services de l'art pour la justice, l'art a également été le vecteur permettant de remettre la Justice en question, voire même de la critiquer . La Chanson de Roland fait ainsi référence au procès de Ganelon. Quant aux chanteurs, citons pour l'exemple Brassens qui critiquait plutôt explicitement la justice dans sa chanson Gare au gorille .

Au théâtre , c'est surtout la pièce de Sophocle, Antigone qui présente la première la conscience humaine se confrontant à l'idéal de justice. L'héroïne éponyme est en effet la victime d'un dilemme tragique, oscillant entre le respect de la loi de sa Cité, et respect des lois divines dévolues aux morts (son frère Polynice dans la pièce).

Les thèmes de la justice et de ses représentants foisonnent souvent dans les carnavals .

Sans pouvoir prétendre à la moindre exhaustivité au niveau des peintures engagées, nous pouvons citer les exemples de Francisco Goya qui a peint une scène d'Inquisition , toutes les illustrations de Jeanne d'Arc, ou encore du procès de Jésus Christ. La peinture de Jacques-Louis David La Mort de Socrate , illustre le procès de Socrate en -399.

Celui-ci est aussi relaté dans les textes de Platon et Xenophon, tous deux intitulés : Apologie de Socrate. Dans la République , le personnage de Thrasymaque soutient face à Socrate que la justice n'est que l'expression de l'intérêt du plus fort : « Le droit naturel est l'instrument des puissants pour opprimer les plus faibles ». Dans Le Colonel Chabert , paru en 1832 sous le titre La Transaction , Honoré de Balzac souligne l'impuissance de la justice. Avec son « J'accuse » Zola fait apparaître la notion d'erreur judiciaire. Dans L'Étranger , de 1942, Albert Camus montre l'absurdité du système pénal, de même que Franz Kafka dans Le Procès de 1925. Avec un style prétendument plus naïf les fables de la Fontaine sont à certains égards une critique acerbe de la justice.

Le cinéma a également soulevé quelques questions concernant la justice. Si le jury d'assises a ainsi été souvent mis en lumière, le film 12 hommes en colère de Sidney Lumet en est une très belle illustration. Le film Das Experiment de Philip Evenkamp avait mis au cinéma l'expérience de personnes lambda qui avaient été réparties en deux groupes, les uns étant des détenus et les autres les vigiles. L'expérience avait alors dégénéré en escalade de violence, l'expérience ayant connu une fin abrupte par la mort d'un candidat.

 
Si l'art se veut subjectif, il a évidemment entraîné bon gré mal gré des déviances et des déformations de la Justice . Les romans et les séries policières donnent ainsi une vision totalement tronquée de l'appareil judiciaire, à l'américaine. Il y a ainsi de nombreux films cultes donnant une vision totalement héroïsée des avocats, tels que L'avocat du Diable avec Al Pacino et Des hommes d'honneur avec Tom Cruise.

Les photos, les médias propagent des symboles, c'est pourquoi ils aiment illustrer les dépassements de normes, surtout lorsqu'ils sont effectués par des personnalités. Que penser des réflexions sur les cabinet d'avocats dans le cadre de ce qu'on peut déjà appeler l'affaire Galland ?

Les média obligent également les tribunaux à rendre des jugements plus influencés par une opinion publique informée des procès et de leurs évolutions, qui font les gros titres des journaux d'avant-guerre.

La limite de la contribution des arts au processus de re-symbolisation tient par conséquent à ce qu'ils ne sauraient se substituer au rôle de la justice.

 
Enfin, la Justice n'a pas toujours collaboré avec l'art non plus. La justice et le droit constituent d'ailleurs souvent un frein, voire une instrumentalisation de l'art . L'illustration historique en est évidemment la censure.

Mais des exemples récents donnent parfois des situations ironiques, où des artistes qui ont subi quelques années plus tôt des condamnations pour avoir fait des graffitis se voient aujourd'hui exposés dans les plus grandes galeries. Le tagueur américain Adam Cost a ainsi encore été interpellé alors qu'il faisait un graffiti sur un immeuble à deux pas d'une galerie où il exposait.

Si les droits d'auteur et les droits voisins garantissent une protection légale nécessaire pour les artistes, ces droits peuvent également se retourner contre ces mêmes ou d'autres artistes. Ainsi, en toute modestie, nous avions avec notre ensemble VOIX des collines fait une composition musicale basée sur un pot-pourri de jingles publicitaires. Nous nous étions alors penchés sur les exceptions à ces droits de manière à s'assurer que l'on puisse faire cette œuvre ‘originale'. Ne pouvant nous baser sur la citation ou la production dans un cercle familial , c'est finalement sous l'exception de la parodie que nous avions pu produire le morceau sans avoir besoin de l'autorisation ni surtout à payer les auteurs des différents jingles publicitaires. Les licences libres, « The Free Music philosophy » sont d'ailleurs une alternative aux effets pervers de ces droits, le souhait de ces auteurs étant que leurs morceaux soient diffusés le plus largement possible.

Dans la même optique, le droit des marques a connu une réelle dérive, de sorte qu'il ne se cantonne plus aujourd'hui à protéger des créatifs mais constitue un réel business.

Un dernier exemple avec l'exposition Körperwelten , où l'artiste Gunther von Hagens présentait des cadavres plastinés aux abattoirs d'Anderlecht. Une affaire avait alors été introduite par Monsieur Olsen devant le Tribunal de Première Instance de Bruxelles, pour voir interdire l'exposition. Le tribunal ne se prononcera pas sur le fond du dossier en raison d'un problème d'irrecevabilité. La demande avait alors été introduite sur base de la réglementation en matière de transport et de conservation des cadavres. Si l'artiste prétend que l'exposition ne présente que des plastinations qui ne seraient plus des cadavres mais des préparations anatomiques, il n'en demeure pas moins des questions et problèmes juridiques à l'aune du consentement donné par les donneurs, des droits personnels, des droits à l'image , de l'ordre public, de l'intégrité physique, des droits de l'homme , de la transplantation d'organes , de la Convention de bioéthique . La question peut d'ailleurs être posée plus ou moins dans les mêmes termes pour les chambres funéraires et les momies qui sont exhumées .

Soulignons enfin une judiciarisation de la société et une contractualisation des relations interpersonnelles, notamment dans l'art.

 
Cette réflexion nous amène à l'image de la balance, où tout reste question d' équilibre .

 
Joachim Bourry

Avocat au Barreau de Bruxelles

 
Petit LAROUSSE, 1980.

Geneviève DROZ, Les mythes platoniciens .

Luca PARISLOI, « La justice au Moyen Âge », La Justice , 97.

Marc GALANTER, “Why the « haves » come out ahead : Speculations on the limits of legal change”, Law & society , 1974, 95-100 ; Marc GALANTER, “Adjudication, litigation and related phenomena”, Law and the Social sciences , Leon Lipson & Stanton Wheeler Eds, 1986.

Georges BALANDIER, Le désordre. Éloge du mouvement , Paris, Fayard, 1988, 247.

Enrico FERRI, L'anarchisme : entre critique du droit et aspiration à la justice , 2010.

Jean-Claude FARCY, « Quelle histoire pour la Justice ? », Criminocorpus , 2012.

Robert JACOB, Images de la Justice. Essai sur l'iconographie judiciaire du Moyen Âge à l'âge classique , Paris, Le Léopard d'or, 1994.

Craig ZELIZER, The role of artistic processes in peacebuilding in Bosnia-Herzegovina , Institute of conflict resolution and analysis at George Mason University, 2004, 196.

Denis-Constant MARTIN, “Pratiques culturelles et organisations symboliques du politique”, Cultures politiques , Paris, PUF, 2001, 125.

R. FOQUÉ, Recht en wijsgerige antropologie , 2004, 75.

H. ARENDT, Vita active , 2002, 21.

Philippe MALAURIE, Droit et littérature. Une anthologie , Cujas, 1997.

Antoine GARAPON et Denis SALAS, Le droit dans la littérature , Michalon, 2008.

Wikipedia

Rinaldo WALCOTT,  De l'utilité de l'art pour la diversité critique, la justice sociale et l'avenir de l'art et de la culture au Canada , OPSAC, 2011.

R. LAERMANS, De verleiding van de ethiek ; Over de plaats van de morele argumenten in de huidige maatschappij , 2003, 113.

Loi du 30 juin 1994relative au droit d'auteur et aux droits voisins.

A. BERENBOOM, Le nouveau droit d'auteur et les droits voisins , Bruxelles, Larcier, 2005, 43.

F. DE VISSCHER & MICHAUX, Précis du droit d'auteur et des droits voisins , Bruxelles, Bruylant, 2000, 102.

F. GOTZEN et M.-C. JANSSENS, Beginselen van Intellectuele Rechten , Louvain, K.U.Leuven, 2005, 35.

H. SPOOR, D.W.F. VERKADE et D.J.G. VISSER, Auteursrecht, naburige rechten en databankrecht , Kluwer, Amsterdam, 2005, 293.

http://www.ram.org/ramblings/philosophy/fmp.html

Loi du 20 juillet 1971 sur les funérailles et sépultures. Loi du 20 août 1981 portant approbation de l'Accord sur le transfert des corps des personnes décédées, et de l'Annexe, faits à Strasbourg ke 26 octobre 1973.

Patrick SENAEVE, Compendium van het Personen- en Familierecht , Leuven, Acco, 2004, I, 184-238.

Traité Européen du 04 novembre 1950.

Loi du 13 juin 1986 sur le prélèvement et la transplantation d'organes.

STE 164, Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine , 4.IV.1997, 21 p.