Réforme du code civil: le Droit en perte de valeurs
Plusieurs commissions planchent sur une réforme du code civil. Il est regrettable que ce lifting soit guidé non par une véritable vision progressiste mais par des considérations politiques éphémères.
Notre Code civil belge, hérité de Napoléon, est un solide vieillard qui a su traverser les époques. Du haut de ses 215 ans, le voilà importuné par notre ministre de la Justice, Koen Geens. Ce dernier a en effet mis plusieurs commissions en place pour plancher sur un lifting complet de cet ancêtre. Dans ce contexte, une proposition de loi, du livre 5 du Code civil « Les obligations », préparé par la Commission de réforme de droit des obligations, a notamment été déposée le 4 avril dernier. Si l’initiative est louable, cette crise de jeunisme devrait cependant n’être dictée que par des motifs juridiques et non par des sentiments politiques éphémères.
Commençons par assassiner le père ! Le Code civil consacre l’exercice de ses droits en bon père de famille, vocable emprunté du bonus pater familias. Celui-ci se voit cependant relégué au rayon mémorial pour des motifs politiquement corrects. Comment ose-t-on en effet évoquer la notion de bon père de famille, alors qu’un contrat peut être conclu par une femme, de surcroît non génitrice ?! Ce sont dès lors des motivations caricaturalement égalitaires qui ont causé la perte du bon père de famille, pour lui privilégier la personne prudente et raisonnable.
Des termes imprécis
Le hic c’est que le bon père de famille était une notion juridique, dont le sens défini et fort de plusieurs siècles était délié de toute connotation genrée ou politique. Son remplacement par une personne prudente et raisonnable n’est cependant pas sans conséquences. La multiplication des termes prudente et raisonnable crée en effet un risque accru d’insécurité juridique, dès lors que les tribunaux recevront la patate chaude et devront s’atteler à en circonscrire la signification. Cet exercice sera d’autant plus délicat que ces termes, pris séparément, peuvent revêtir un autre sens, dont nul ne peut affirmer avec certitude qu’ils rencontreront, ensemble, le même que celui du bon père de famille.
Le deuxième socle abattu, faisant craindre une perte d’équilibre de l’édifice juridique, concerne les modes d’extinctions des obligations contractuelles. Actuellement, une convention prend fin, soit par la réalisation de son objet, soit de commun accord ou encore par résolution judiciaire. C’est cette dernière possibilité qui est mise à mal.
Objet juridique non identifié
La proposition de loi crée un objet juridique non identifié dans l’espace belge, à savoir la possibilité d’une résolution unilatérale d’un contrat. Une partie à un contrat peut dès lors rompre de sa seule initiative un contrat en cas de circonstances qu’elle considérerait graves ou exceptionnelles. La seule condition formelle réside dans l’obligation d’une notification au cocontractant considéré comme défaillant. Relevons à ce propos qu’actuellement toute revendication doit déjà faire l’objet d’une mise en demeure, avant même de pouvoir ester en justice, de sorte que cette condition ne constitue véritablement qu’une redite.
Les circonstances supposément graves ou exceptionnelles n’étant pas décrites, il appartiendra encore aux juges de se prononcer sur leur détermination. Outre le risque qu’un tribunal, saisi par le cocontractant soi-disant défaillant, décide que ces circonstances n’étaient pas rencontrées et qu’il n’y avait par conséquent pas de motif à rupture unilatérale du contrat, la partie ayant brandi la résolution unilatérale pourrait de surcroît subir un effet boomerang en se voyant condamnée à un dédommagement du chef de rupture fautive du contrat, le motif qu’elle avait elle-même invoqué n’ayant pas été reconnu. L’avant-projet mentionne d’ailleurs sans gêne que le créancier agit de la sorte à ses risques et périls.
A l’époque du jetable
Cette nouvelle forme de résolution témoigne d’une époque de biens de consommations jetables. Si nos parents pouvaient conclure un contrat sur base d’une parole et d’une poignée de mains inviolable, nos contrats actuels nécessitent déjà des conventions écrites et reprennent le plus souvent des clauses résolutoires. Quant aux conventions futures, cette nouvelle disposition les rendra obsolètes, voire inexistantes, celles-ci pouvant toujours faire l’objet d’une résolution unilatérale.
En attendant, le Code civil doit son salut au seul fait que le gouvernement soit en affaires courantes, maintenant de la sorte une stabilité toute précaire de l’édifice juridique. Nul ne peut présager de l’évolution de la proposition de loi et encore moins des intentions du gouvernement fédéral d’après mai 2019.